Je ne sais pas pour vous, mais il m’arrive parfois de refermer un roman et de rester un instant, immobile, comme suspendue entre deux mondes. Kolkhoze, le dernier livre d’Emmanuel Carrère, m’a laissée exactement dans cet état-là : à la fois troublée, fascinée et un peu mélancolique. Ce roman, à la croisée du récit intime et de la fresque historique, m’a happée sans que je m’en rende compte. Et surtout, il m’a forcée à réfléchir à mes propres racines, à ce qu’on garde, ou non, de ceux qui nous précèdent.
Un voyage entre la Russie d’hier et la France d’aujourd’hui
Le mot kolkhoze désigne ces fermes collectives soviétiques où tout appartenait à tout le monde, mais où personne ne semblait réellement libre. Carrère en fait le décor et le symbole d’une histoire de transmission, de perte et de réinvention. On suit un narrateur qui tente de comprendre l’héritage laissé par sa famille d’origine russe : des exilés, des déracinés, des gens partagés entre la fierté et la honte de ce qu’ils ont fui.
Dès les premières pages, j’ai senti cette tension : la nostalgie du pays perdu, mais aussi le malaise d’appartenir à deux mondes à la fois. Et même si je ne viens pas d’une lignée d’exilés, j’ai retrouvé quelque chose de familier dans ce sentiment de double appartenance : celui qu’on ressent quand on essaie de concilier son passé et la personne qu’on devient.
Hériter, c’est choisir ce qu’on garde
Ce qui m’a le plus touchée dans Kolkhoze, c’est cette idée que l’héritage ne se résume pas à des objets, des traditions ou des noms. C’est une matière vivante, souvent contradictoire, qu’il faut trier, questionner, parfois même rejeter pour pouvoir avancer.
Le narrateur tente de comprendre comment les blessures du passé façonnent sa propre vie. Et, étrangement, j’ai pensé à ma famille : aux silences, aux habitudes transmises sans explication, à ces phrases qu’on répète sans savoir d’où elles viennent. Ce roman m’a rappelé qu’il y a quelque chose de libérateur à “désapprendre” ce qui ne nous appartient plus.
L’écriture de Carrère : brute, pudique et dérangeante à la fois
J’ai toujours eu une relation ambivalente avec les livres d’Emmanuel Carrère. Je les trouve parfois dérangeants, trop intimes, presque impudiques. Mais c’est justement ce que j’aime ici : il écrit avec une honnêteté désarmante. Pas pour se confesser, mais pour chercher la vérité, aussi inconfortable soit-elle.
Dans Kolkhoze, il y a moins de mise en scène de soi, plus de retenue. Comme si l’auteur s’effaçait pour laisser la parole aux fantômes de l’histoire. Et cette pudeur rend le texte encore plus fort.
Ce que j’en garde
Depuis que j’ai terminé Kolkhoze, j’ai un peu la sensation d’avoir visité ma propre mémoire. J’ai envie de demander à mes parents des histoires qu’ils n’ont jamais racontées. J’ai aussi compris que l’exil ne concerne pas que ceux qui changent de pays : il touche aussi celles et ceux qui cherchent leur place entre plusieurs versions d’eux-mêmes.
Lire Kolkhoze, c’est comme ouvrir un album de famille dont les photos bougent encore. On y voit des visages aimés, des blessures anciennes, des parts de soi qu’on croyait oubliées. Et quand on referme le livre, on se dit que peut-être, finalement, hériter, c’est apprendre à se réconcilier avec toutes ses origines, même celles qu’on tait.

Je suis l’auteure passionnée derrière ce blog, partageant mes idées, expériences et réflexions avec vous. Bienvenue dans mon monde.